On aurait pu penser le contraire mais de revenir à Barrow me faisait du bien. C’était plutôt étrange, après avoir habité dans une grosse ville pendant toutes ces années, mais refaire le plein en plein nature me calmait. Ça m’aidait à mieux accepter le départ de Dawn et de Svetlana. « Accepter » n’était pas vraiment le bon mot, disons plutôt « vivre avec » étant donné que je n’avais pas d’autres choix que de vivre avec. Si je tentais de revoir ma fille, j’allais me tirer dans le pied plus que d’autres choses. En attendant, j’essayais d’en profiter pour reprendre les activités que je n’avais pas faites depuis de longues années. Disons que, en ce temps de l’année, je n’avais pas beaucoup de travail. Je faisais des rénovations ici et là pour de vieilles connaissances ou pour mes nouveaux voisins. Je devais d’ailleurs aller porter le coffre en bois que ma sœur m’avait demandé de lui fabriquer. Je ne sais pas trop si elle m’avait demandé de lui en faire un pour m’occuper ou parce qu’elle en voulait vraiment un, mais ça devait être un semblant de rêve de petite fille qu’elle réalisait, au fond. Qui n’a pas rêvé d’avoir un gros coffre au bout de son lit, pour ranger ses choses ? Mieux vaut tard que jamais, comme on dit, je venais tout juste de le terminer. J’appelle donc ma sœur pour la prévenir que je passerai chez elle : « J’ai terminé le coffre que tu m’as demandé, ça te va si je te l’apporte ce soir? » Parfait prétexte pour passer un peu de temps avec elle. L’envie de reprendre un verre commençait à se faire sentir et je n’avais pas envie de flancher. « C’est parfait ! Tu restes manger ? J’ai de la bouffe pour une armée! » Ce qui fait mon bonheur car je n’ai pas encore manger et tout ce travail manuel m’a creusé l’appétit. « Je prends ma douche et je m’en viens. » Après avoir raccroché le téléphone, je prends le coffre dans mes bras et je le porte jusqu’à la boîte de mon camion. Ensuite, j’entre dans la maison de laisse mes vêtements, qui sont plein de sciure de bois, en  boule sur le plancher. Je saute rapidement sous la douche pour ensuite me sécher rapidement les cheveux et enfiler une paire de jean propre et un t-shirt, rien de plus normal.

Je m’arrête en chemin, dans une pâtisserie, pour acheter un gâteau avant de continuer ma route jusqu’à arriver devant la maison où ma sœur habite. Son conjoint semble absent, comme sa voiture n’est pas là, et j’espère qu’il a emmené leur fils avec lui. Depuis le départ de Svetlana, la vision d’un enfant ne me fait plus tellement le même effet qu’avant. Une fois rendu, je sors le coffre de la boîte de mon camion et je le porte jusqu’à la porte d’entrée, sur laquelle je cogne quelques coups. J’attends un peu jusqu'à ce que la porte s’ouvre sur ma sœur. « Wow, c’est trop beau ! Allez, entres ! Tu peux le poser là, on le montera plus tard. Tu vas bien? » Je pose le coffre à l’endroit indiqué avant de prendre le temps de l’embrasser sur les deux joues. « Ça va, la routine. Et toi? » Elle me fait signe de la suivre jusqu’à la cuisine pendant qu’elle répond à ma question : « Super bien ! J’ai une amie qui est ici pour le repas aussi, j’espère que ça ne te dérange pas ? » Je secoue négativement la tête alors que je pénètre dans la cuisine. C’est à ce moment que mon regard s’arrête sur sa dite amie : Leigh-Ann. « Tu te souviens de Leigh ? » Je fige un instant mais je tente de reprendre mes esprits rapidement, pour ne pas que Tania se rende  compte du malaise que j’ai ressenti en apercevant son amie d’enfance. Si je me souviens d’elle ? Comment oublier la femme avec qui j’ai eu un écart de conduite pendant que mon couple n’était qu’en pause ? Je n’avais pas été infidèle à proprement parler mais je me sentais tout de même mal d’avoir couché avec quelqu’un d’autre. Mais j’étais en besoin de réconfort et elle avait été là. Les choses s’étaient passées comme elles s’étaient passées et je ne pouvais plus rien y faire. C’était coulé dans le béton. « Bien sûr ! Tu vas bien? » Je m’approche d’elle en souriant et je me penche dans sa direction pour l’embrasser sur les joues, en posant mes mains sur ses bras. « Je suis content de te voir, ça fait longtemps. » Moins longtemps que Tania le pense mais ça on ne lui dira pas. Je me recule de quelques pas pour ne pas être trop proche, en me grattant le cou – geste que je fais lorsque je suis mal à l’aise -. « Oh, j’ai ce que tu m’as demandé, Alek, je reviens dans une minute. » Je regarde ma sœur partir de la cuisine avant de rapporter mon regard sur Leigh-Ann. Je tente de ne pas laisser paraitre la gêne que je ressens mais je ne suis pas trop convaincu que ça fonctionne, vu le silence qui plane. « Alors, comment va la vie ? Tu deviens quoi? » En attendant sa réponse, je  croise mes bras contre mon torse en espérant que cette question sera suffisante pour détendre l’atmosphère. Tout ce que je veux, c’est que cette histoire reste entre elle et moi. Ma sœur n’a certainement pas besoin de savoir que j’ai couché avec son amie.

Je me baisse pour ramasser un truc tombé au sol, ce grand ménage de printemps fait un bien fou à l'intérieur de la maison. Ca va faire deux heures que je suis en train d’épousseté les moindres recoins pour que ça brille. Estimant le temps qu'il me faudra pour me préparer, je m'arrête et file sous la douche. J'ai rendez vous ce soir avec une bonne amie, cette soirée va me faire le plus grand bien, moi qui aie toujours été un peu sceptique face au sentiment amoureux, me voilà à éprouver des choses pour un gamin. Et puis avec cet étrange inconnu qui m'a volé ce baiser, je suis un peu paumé. Alors en parler me fera du bien c'est certains. Ma coquetterie extrême m'impose un rituel long et fastidieux avant de me rendre dans un endroit, surtout qu'en avançant avec l'âge les rides sont plus nombreuses et les cacher devient de plus en plus difficile. Je sors de ma salle de bain très apprêtée, j'enfile une veste et prend le volant de ma voiture. Arrivé chez mon amie, je lui confie quelques doutes, on discute, on rit, j'aime notre relation parce qu'elle est simple. Nous sommes des amis de longues dates et pourtant pas une seule dispute à notre actif. La sonnette retentit et elle me lance :  Ca doit être mon frère, il a dit qu'il passerait. Mes sourcils se fronce.  Il est revenu ? m'enquis je directement, laissant le masque pour qu'elle ne remarque pas ma gène. Oui, ça va faire quelques jours maintenant, c'est vrai que j'ai complétement oublié de t'en parler. Je les entends discuter au loin, il rapporte une de ses créations. Je ne sais pas s'il est au courant de ma présence chez sa soeur. Faut dire qu'on s'est pas vraiment revus depuis ce moment partagé ensemble. On s'est croisés quelques fois, se contentant de sourire gêné et de faibles bonjour.

Tu te souviens de Leigh ? Je déglutis, j'aurais aimé le voir dans d'autres conditions, ne pas être prise au dépourvue. L'ambiance un peu surprenante générée par ces retrouvailles est palpable, je prie néanmoins pour que Tania ne se rende compte de rien. Pourquoi ? Parce qu'elle ne prendrait pas bien le fait que j'ai couché avec son frère, ça c'est clair, surtout après lui avoir caché toutes ses années. Enfin, je lui avais raconté, je lui avais seulement dis que c'était avec un inconnu et que ma première fois avait été douce et agréable mais qu'il était parti après. Demi mensonge, parce que c'est parfois plus simple que de dire la vérité.  Bien sûr ! Tu vas bien?  Il s'approche pour m'embrasser, sur la joue évidement et ce contact chaud rappelle nerveusement nos émois.  Je vais bien. Ca à l'air d'aller aussi. il avait l'air souriant, plutôt heureux même si de légères cernes laissent entrevoir une certaine fatigue. Je ne sais pas trop où il en est non plus, après tout, je ne demande pas de nouvelles à mon amie, ayant trop peur qu'elle deviennent  suspicieuse. Je suis content de te voir, ça fait longtemps. Je baisse la tête, un peu gêné alors que mon amie prend la parole. Oh, j’ai ce que tu m’as demandé, Alek, je reviens dans une minute. Elle part et nous laisse tout les deux, on a vraiment l'air bête, sans oser se regarder dans les yeux, deux gamins dans une boom d'écoliers. Alors, comment va la vie ? Tu deviens quoi?   Voilà une question très vaste mais il brise un silence devenu embarrassant et je l'en remercie. Waoh, depuis le temps, je suis avocate, comme je le souhaitais, ça marche plutôt bien... Je... Je me mets alors à rire, presque nerveusement. Je finis par me calmer et reprendre. Je n'ai pas des tonnes de choses à lui raconter de toutes façons. Désolé, la situation est vraiment bizarre... Et toi, dis moi, pourquoi tu es de retour ?

Ça a l’air d’aller, effectivement. Mais parfois, il ne saut pas toujours se fier à ce que les gens dégagent. Ce qu’ils projettent et ce qu’ils sont vraiment, ça peut être deux choses complètement différentes. Je n’allais pas trop mal mais je n’étais pas encore sorti d’affaires et je le savais. Mais je préférais faire celui qui pète la forme plutôt que d’expliquer à tout le monde ce que je traversais. Mon alcoolisme était un chapitre de ma vie que je voulais ranger dans un coin bien sombre de ma tête. Si je voulais appuyer sur un bouton « supprimer », ce serait encore mieux. Mais dans un sens, notre passé fait ce que nous sommes aujourd’hui. Mais j’aurais quand même préféré que les choses se passent différemment avec Dawn et Svetlana. « Ça pourrait être pire ! » Genre si j’étais encore alcoolique, par exemple. J’étais encore à risque de rechuter, cela dit, mon problème était encore d’actualité. Mais Leigh-Ann n’avait pas besoin de savoir ce détail. Après tout, malgré le moment que nous avions partagé, elle et moi n’étions pas si proches. La proximité qu’il y a entre nous, lorsque je l’embrasse sur les joues, fait remonter quelques souvenirs en tête que je tente de chasser aussi vite qu’ils étaient remontés. Ce n’était clairement pas le moment de repenser à nos ébats, devant ma sœur. Elle n’aurait pas besoin de grand temps pour remarquer qu’il se tramait quelque chose, qu’un certain malaise était présent entre Leigh-Ann et moi. Ma sœur avait beau être distraire, parfois, il ne fallait pas un diplôme universitaire pour remarquer que quelque chose se passait. Et connaissant ma sœur, je n’aurais pas la paix tant qu’elle n’aurait pas réussit à me tirer les vers du nez alors je préférais largement ne pas avoir à me lancer dans ce genre de discussion avec elle. Je soupire presque de soulagement lorsque Tania part de la cuisine pour aller chercher ce que je lui avais demandé. Sauf que le malaise n’est pas pour autant disparu, j’ai surtout l’impression d’en ressentir encore plus la pesanteur.

« Avocate, wow. Je suis content pour toi. Que t’ais finalement le boulot que tu voulais. » Conversation un peu trop étrange, j’espère que ce sera plus naturel d’ici à ce que ma sœur revienne. J’avais l’impression d’être un jeune adolescent qui se retrouve devant la fille pour qui il a le béguin, c’en est ridicule. Cette histoire remontait à dix ans, il fallait mettre ça derrière nous et recommencer à agir normalement. Mais c’était plus facile à dire qu’à faire quand il s’agit de la meilleure amie de ma petite sœur. « Hum, ouais. On n’a pas pensé à ça dans le temps, hein. » Sourire gêné à l’évocation de ce qui s’est passé entre nous alors que je frotte ma barbe naissance, sur mes joues, avec mes doigts. « J’avais besoin d’un nouveau départ. » Comment rester vague 101. « Je viens de me séparer. » Mal à l’aise d’aborder ce sujet, je me gratte le cou. « Longue histoire. » Sur laquelle je n’avais pas envie de me lancer. Les détails de mon divorce n’allaient en rien faire briller ma réputation. Le but, en venant ici, c’était de repartir du bon pied et pas de continuer sur mes erreurs du passé. Tania revient dans la cuisine en trombe, une boîte dans les mains. Elle la pose sur le sol en souriant. Elle nous fixe un instant, le sourire aux lèvres, avant d’ouvrir la bouche pour parler : « Oh tu sais quoi ? Je n’ai pas envie de boire du vin, en fin de compte! » Tania file jusqu’à la table pour prendre la bouteille de vin et la serrer dans le réfrigérateur. Elle sort plutôt la cruche d’eau et se sert un verre. « Pas besoin de te priver. » dis-je mal à l’aise par le manque de subtilité de ma sœur. « De l’eau ça me va. Ça te va aussi, Leigh ? » Un soupire m’échappe alors que je quitte la cuisine pour aller chercher mon gâteau que j’ai oublié dans l’entrée. Je reviens quelques secondes après et je le pose sur le comptoir. « On passe à table? » Je file aider ma sœur à servir les assiettes avant de m’installer pour manger. « Merci pour le repas même si je m’infiltre un peu dans votre pseudo soirée de fille. » Je sais que ma sœur s’en foutait mais la situation était assez particulière entre Leigh-Ann et moi. Si j’avais su qu’elle allait être là, j’aurais peut-être attendu. Pas que je ne l’aimais pas mais je tenais à ce que cette histoire reste entre nous.