Celà fait maintenant deux ans que je suis revenu, deux ans que j'ai décidé de quitter Washington, mon diplome en poche pour revenir au pays natal, à Barrow. J'y ai retrouvé ma famille, mes parents, ma soeur, mes demi soeurs, tout ce petit monde ainsi que mes habitudes dans cette ville. Celà me fait énormément de bien au quotidien de retrouver cet endroit, c'est ici et seulement ici que je me sens bien, malgré les rumeurs, malgré les commérages, malgré tous les petits défauts que les mauvaises langues pourront bien trouver. Parmi ces petites habitudes, il y avait celle d'aller prendre mon café le matin au café blanc , un endroit familiale, un endroit où j'ai grandi, où j'ai pris mes chocolats chauds tous les matins en allant à l'école de l'autre coté de la place Stevenson. C'est tellement de souvenirs qui me manquaient et qui me font tellement de bien aujourd'hui.

Je suis donc assis ce matin à une table du café blanc, avec leur spécialité sur la table, avant de commencer ma journée. J'ai toujours un bon moment d'avance, préférant déjeuner au café que seul chez moi. Je me fais certes discret mais je suis quand même mieux assis ici, dans l'ambiance de la ville, avec ce café blanc qui réchauffe le froid glacial qu'il fait à l'extérieur. Alors que mes yeux traversent de long en large la salle, mon regards s'arrêtent sur une jeune femme assise à une table un peu plus loin. Elle me dit vraiment quelque chose, son regard, ses expressions du visage. Je la connais. Je mets quelques minutes avant de la remettre dans son contexte. C'est la jeune Eliza, celle qui a tragiquement perdu ses parents quand elle était gamine dans un accident de voiture. A cette époque, il n'y avait pas grand monde à Barrow, tout le monde se connaissait et ce couple mort tragiquement a plongé la ville plusieurs semaines dans le deuil. Dans mes souvenirs, la jeune fille est parti vivre chez de la famille, dans un autre état. Pris d'un élan de sociabilité et de gentillesse matinale, je me lève pour aller à sa rencontre. Certes on ne se connaissait pas énormément mais j'avais du passer quelques après midi avec elle dans la cour de l'école ou dans la rue. Les gamins de Barrow, on était tous une grande famille. Au milieu d'une bataille de boule de neige, on est tous copains à cet age là. Je lui lance donc doucement, ne voulant pas la sortir trop vite de son rêve éveillé " Eliza ? " Elle lève les yeux vers moi, visiblement surprise. Elle doit elle aussi me reconnaitre mais essayer de me remettre dans mon contexte. Je l'aide alors " Je suis Liam, Liam Morrison. Je sais pas trop si tu te rappelles de moi, on a grandi ensemble ici ! "

7h00. Le réveil qui sonne. L’heure de se réveiller et de se lever du bon pied. J’embauche dans une heure, le beau temps est présent et je dois avouer que c’est plutôt rare à cette période de l’année. Je travaille au café blanc, le premier café qui ouvre dans le centre ville de Barrow, je me demande bien si ce n’est pas le seul d’ailleurs. Je suis revenue ici il y a maintenant cinq mois et je ne me suis toujours pas intéresser à la ville et à ses habitants. Enfin si, quelques uns quand même… Forcément il y a Sloan, puisque je suis devenue sa colocataire, mais bon, lui c’est différent, il habite dans mon ancienne maison. J’ai l’impression de ne pas connaître cette ville, de ne jamais y avoir vécue, pourtant j’y ai quand même passé toute mon enfance, onze ans de ma vie ici. Je ne reconnais rien, tout à changer, c’est horrible de se dire que l’on a pu passer des heures à jouer au ballon avec des voisins qui ont aujourd’hui plus de vingt ans, des personnes que l’on ne reverra surement jamais.

8h00. J’arrive au café, il est l’heure que je commence le travail. J’enfile mon tablier et commence à prendre quelques commandes de certains habitués. Un café crème, un expresso…  Je connais tout les noms de café, toutes les déclinaisons possibles. En même temps, je travail dans un café, c’est peut-être préférable. Je m’installe ensuite au comptoir et commence à faire les commandes de ce qu’il manque au café. Serviettes en papier, gobelet, café… Lorsque quelqu’un s’approche de moi et me dit « Eliza ? » Je me retourne alors, intriguée de savoir qui pouvait connaître mon nom ici, du moins qui pouvait me reconnaître. « Je suis Liam, Liam Morrison. Je ne sais pas trop si tu te rappelles de moi, on a grandi ensemble ici ! » Je me suis mise alors à réfléchir, repensant à mon enfance et essayant de me rappeler le visage d’un enfant du prénom de Liam, quand soudain je me souviens de ce petit garçon qui me raccompagnait chez moi après les cours, pour avoir comme excuse de goûter les petits muffins de maman. « Ah oui, Liam, le petit gourmand. » Je lui fis un large sourire, ne sachant trop comment continuer la conversation…« Comment tu vas ? » Oui, basique, simple, mais plutôt efficace. En général quand on veut continuer une conversation, on fait un effort pour développer sa réponse non ? Ouais c’est vrai quoi… Enfin bref.  

Quand on naît à Barrow, surtout à l'époque où j'ai vu le jour, nombres de gens nous connaissaient sans forcément qu'on les connaisse, ou vice versa. Dans cette ville les gens parlent beaucoup, les rumeurs vont et viennent, en partie grâce à l'aide du fameux Roby. Tout le monde connait tout le monde, sans vraiment le connaitre. Assez compliqué à cerner mais plutot facile à vivre. C'est comme ça que tous les enfants se connaissaient, tous les parents se connaissaient par l'intermédiaire de leur progéniture ou de leur boulot. Il y avait vraiment une bonne ambiance, il y faisait bon vivre comme on dit. Je ne peux m'empêcher de sourire quand j'entends la réponse de la jeune fille. On marque les gens comme on peut après tout ! C'est ma gourmandise qui l'a marqué. Il faut avouer que sa mère faisait vraiment des gateaux délicieux, elle était souvent connu pour ça d'ailleurs. Petit, je n'étais pas toujours très sociable, plutot solitaire, mais je me rappelle effectivement l'avoir raccompagner plusieurs fois, habitant dans le même quartier qu'elle. Elle est plus jeune que moi de trois ans, ce qui me plaçait en tant que " grand responsable " et ça me plaisait bien. Tout comme le gouter de sa mère qui me plaisait bien aussi. Je rétorque alors, prenant un faux air géné "  Effectivement, c'est bien moi ..  Je ne pouvais pas résister ! "

Elle entame alors la conversation, me demandant banalement comment je vais. En même temps c'est la façon la plus simple de lancer le discours, à moi de ne pas répondre par un simple " bien et toi ?". Il faut aussi avouer que je n'ai pas non plus d'énormes souvenirs d'elle, comment elle ne doit pas en avoir de moi, mais ça vaut toujours le coup de prendre des nouvelles des natifs de Barrow, un esprit familial reste malgré tout en nous. " Ben écoute ça va bien, je suis revenu à Barrow il y a deux ans et le petit gourmand est devenu médecin ! D'ailleurs je ne t'avais pas encore croisé ici, depuis quand tu es de retour parmi nous ? " Evidemment toute la ville avait remarqué son départ à l'époque, le sien tout comme celui de ses parents, celui là malheureusement irréversible. Je n'ai pas eu de nouvelles d'elle depuis, je me demande comment elle a vécu la chose, perdre ses parents, sa ville, ses amis, tout d'un coup et la pauvre n'avait qu'une dizaine d'années. Je ne peux pas aborder le sujet maintenant, ça serait trop brutal. Je m'assois donc face à elle, mon café blanc entre les mains et l'écoute me raconter son petit bout d'histoire.

" Effectivement, c'est bien moi... Je ne pouvais pas résister ! " Oh oui… Peu de gens pouvait résister aux super gâteaux de maman, elle y mettait tant d’amour. Et puis, ça lui faisait tellement plaisir de voir les gens venir chez elle pour gouter ses douces pâtisseries. Je ne répondis rien, seul un sourire c’était afficher sur mon visage, ça me rappelait ma mère, la bonne vieille époque, l’époque où l’on se souciait de rien, sauf peut-être de qu’est-ce qu’on allait faire de notre journée, du moins, de notre soirée après les cours.

" Ben écoute ça va bien, je suis revenu à Barrow il y a deux ans et le petit gourmand est devenu médecin ! D'ailleurs je ne t'avais pas encore croisé ici, depuis quand tu es de retour parmi nous ? " Ouaaah médecin. Bah on peut dire que lui il avait réussi sa vie et que son entourage pouvait être fier de lui. « Je suis de retour seulement depuis quelques mois, environ cinq il me semble. Je ne pouvais pas continuer de vivre loin de Barrow, tu comprends, le début de ma vie s’est passé ici. Pourtant, j’ai l’impression d’être une inconnue… » Je lui fis un léger sourire avant d’aller vers un client qui m’interpellais pour une commande. Je fis comprendre à Liam que je revenais deux secondes après.

Me revoilà près de lui. « Excuse-moi, je ne peux pas vraiment te parler avec les clients, j’ai ma pause déjeuner à midi si tu veux, sinon je fini à seize heures trente. On pourrait peut-être se revoir pour prendre le temps de parler comme il faut non ? » Je lui fis mon air désolée. Mais bon, c’est vrai que parler de ce qui c’était passer durant plus de dix ans, sur mon lieu de travail n’était pas vraiment génial. Je préférais nous voir tout les deux, assis à une table d’un bar.

Je comprends son sentiment d'être une inconnue alors qu'elle est née ici, même si le sien doit être encore plus prononcé que moi vu le nombre d'années où elle est parti. Quoi que pour moi, ce n'est pas vraiment le sentiment d'être inconnu, mais plutot le sentiment d'être rejeter, d'être accueilli comme un traitre qui les auraient abandonné. Certains sont contents pour moi de me voir revenir médecin mais certains ont une rancoeur assez énorme, que je soupçonnais même pas. Toujours est-il que ce n'est plus comme avant, et ce n'est pas tous les jours faciles à encaisser. " Pourtant ton histoire a pas mal marqué la ville.. Je pense pas que les gens t'aient oublié, ils sont juste distants, c'est pareil pour moi ! "

Elle s'éloigne quelques minutes pour aller s'occuper d'un client avant de revenir pour me demander si on peut parler plus tard. Evidemment, elle bosse, j'aurai du me douter que je ne resterai pas des heures ici pour prendre de ses nouvelles. Mais ça me fait quand même plaisir de la revoir, la petite Eliza. " Oui bien sur ! Par contre, à midi je peux pas te promettre d'avoir un horaire fixe donc il vaut mieux remettre ça à ce soir si tu veux ! Je passe ici à 16h30 et on voit ce qu'on fait ! En tout cas, ça fait plaisir de te revoir, ça fait toujours du bien de retrouver des têtes d'ici "Comme je le disais, on ne se supportait pas tous mais il y avait quand même cette ambiance familiale quand on était gamin, ambiance que l'on dénigrait sur le moment mais je suis persuadé qu'au fond de nous, elle nous manque à tous aujourd'hui. C'était tellement agréable en fait de se sentir chez soi partout où on allait. Je ne suis pas naif, je sais que celà ne redeviendra pas ainsi, mais je garde beaucoup de nostalgie quand je pense à cette période.

« Va pour 16h30, je t’attendrais devant le café, histoire de ne pas faire de minutes supplémentaires ! » Oui, je savais très bien que si je l’attendais dans la café, il aurait quelques minutes de retard, je connais les médecins, je sais que ça n’a jamais d’heure fixe. Pour avoir un vrai rendez-vous avec un médecin, c’est simple, il ne faut pas fixer d’heures. Enfin bref, je savais que je devrais l’attendre devant le café, sinon mon patron en profiterait pour me demander de travailler une demi-heure de plus, le temps qu’il finisse ce qu’il à a faire en tant que patron. Mais hors de question que je lui rende service, à 16h30, je serais sagement devant le café en train d’attendre Liam.

Je fis un léger sourire à Liam tout en le regardant quitter le café après avoir régler sa commande, puis je revins à mes occupations. Servir les clients, discuter un peu avec eux afin de nouer des liens, prendre des nouvelles, revoir des têtes que l’on connaissait en étant gamin, leur dire qui on est, devoir raconter notre adolescence, ce que l’on a fait comme étude, dire pourquoi on est revenu dans le coin, entendre qu’ils sont content de notre retour… Puis entendre la voix du patron qui nous demande de faire un peu de ménage, de faire la vaisselle, de refaire le plein de bouteille, de fermer le coin restaurant. Attendre qu’un client vienne, écouter ce qu’il se dit à la radio, regarder l’heure et se rendre compte que la journée est passée vite et que l’on a fini.

Je dépose mon tablier dans les vestiaires du personnel, prend le temps de saluer mon patron tout en regardant mes horaires pour le lendemain puis sort du café. Je m’assois sur un banc dans la rue et attend d’apercevoir Liam. Je sors mon portable, répond à quelques messages puis navigue un peu sur le net. Un petit creux, mon ventre se fait entendre. Je regarde la supérette qui se trouve dans la rue et y vais pour acheter un paquet de gâteau. Bah oui quoi, il est quatre heure, comme les enfants je prends mon goûter. Je retourne sur le banc devant le café et attends de nouveau. Voilà à quoi ressemble une journée à peu près banale.

Il faut bien avouer que des connaissances j'en ai un bon paquet ici, ce qui est logique étant donné que Barrow m'a vu naitre. Mais c'est toujours agréable d'en retrouver de longues dates, de ceux qu'on a pas revu depuis longtemps, voir de ceux dont le nom nous parait à peine familier. Et c'est le cas pour Eliza. Je me rappelle d'elle de nom, de visage. Elle avait un visage d'enfant épanouie, souriante, enjouée, ce qui a bien changé le jour du drame et qui attrista encore plus la population. Moi qui ai vécu le divorce de mes parents comme un véritable déchirement, je n'ose même pas imaginer comme elle a du vivre tout ça. Ils ne se sont pas séparés les siens, ils sont décédés, d'une façon plus que tragique. C'est surement pourquoi je suis d'autant plus content de la retrouver, de pouvoir peut etre lui apporter un peu de réconfort et de soutien, voir même juste de l'aider à se changer les idées. "Ca marche, j'essaye d'être à l'heure ! "Effectivement, ce n'est pas la volonté qui manque mais avec mon boulot ce n'est pas toujours évidement de tenir les rendez vous, et encore moins d'y être à l'heure.

Par chance pour elle, la journée est plutot calme aujourd'hui. Rien de bien grave, contraignant, ou nécessitant un suivi qui m'aurait fait arriver en retard. Malgré ça, on n'échappe pas à la maman qui arrive juste avant mon départ pour avoir un certificat médical pour son fils. Et puis au passage si je peux vérifier sa tension, ses battements cardiaques et tout le reste, ça pourrait bien la rassurer. Autant dire que j'arrive avec quinze bonnes minutes de retard devant le café blanc, à la rencontre d'Eliza. Elle est déjà là, assise sur un banc, semblant manger quelque chose. Je m'approche d'elle et lui lance "Désolé pour le retard, j'ai été un peu retenu au boulot. T'es pas là depuis trop longtemps au moins ?" Avant de m'asseoir près d'elle, je reprends pour lui dire " Tu veux aller faire un tour ? Boire un coup ou juste marcher je sais pas, comme tu préfères ! "Je lui aurais bien proposer de retourner sur les traces de notre enfance, revoir les endroits où on allait jouer etc, mais je me dis que c'est peut êtreune très mauvaise idée de lui rappeler sa vie d'avant avec ses parents. Je lui laisse donc libre choix.

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